Le rap français en 30 albums majeurs : 2nde partie (1996-2000)

 

  3X plus efficace – 2 Bal 2 Neg (1996)

On tient avec ce disque la parfaite représentation de l’émulation collective qui régissait le hip hop du milieu des années 90’s et qui a donné de grandes choses. Il était une fois l’histoire des beatmakers Masta & Tefa impressionnés par les productions de White & Spirit, et celle des 2 Bal (G-Kill et Doc TMC) voulant montrer qu’ils peuvent mieux rapper que les 2 Neg’ (Eben et Niro). Ils s’amusèrent beaucoup, et sortirent un album de fou. Depuis les instrumentaux sombres et lourds jusqu’aux flows hypers techniques en passant par l’egotrip omniprésent, tout nous rappelle les modèles que sont Black Moon ou Smif & Wessun, et c’est une véritable gifle auditive qui se perd en plein dans l’oreille de l’auditeur. Si des morceaux plus conscients et tout à fait réussis sont aussi présents (‘Que faire’, ‘Ma vision du monde’), rarement un disque de rap français aura dégagé autant d’énergie (à part peut-être le très bon Afrocalypse des Afrojazz sorti l’année suivante) et aura été à ce point jouissif à l’écoute.

254211  Première consultation – Doc Gynéco (1996)

De flegme et de nonchalance, voilà ce dont est fait ce premier album du doc, classique impérissable du rap français souvent un peu à part de par ses influences – musicales ou lyricales – plus g-funk que boom bap. Et si le soleil du 18e n’est pas exactement celui de L.A., les synthés et basses rondes de Première consultation délivrent une ambiance autrement plus légère et festive que celles de ses confrères de l’époque.  De passements de jambes en croisements de rimes, Bruno Beausir se balade avec tiédeur de Sarcelles à Porte de la Chapelle, chroniquant la crasse de son quartier (‘Dans ma rue’, ‘Né ici’), ses histoires de cul (‘Vanessa’, ‘Viens voir le docteur’) et son je-m’en-foutisme légendaire (‘Classez moi dans la variet’) qui ne sera pas sans provoquer chez lui quelques envies d’en finir (le supra-classique ‘Nirvana’). Un disque chaleureux et rafraichissant, à l’effet d’une canette de Schweppes ouverte un après-midi de juillet sur un banc sale du boulevard Ney.

  Guet-Apens – Weedy & Le T.I.N. (1996)

Comme pour au dessus, ce disque est avant tout la réussite d’un collectif, celui d’Eskwad Productions. Leaders du groupe Expression Direkt, Weedy & Le T.I.N. réalisent ici un projet en excellente compagnie (Delta & Kertra bien sûr, D. Abuz System, Joey Starr, Kéry James, La Sexion et Rohff qui fait ici ses débuts de façon mémorable) qui baigne dans l’esprit de compétition propre au hip hop, en témoignent les egotrips exceptionnels de maitrise que sont ‘Les spécialistes’, ‘L’ultime combat’ et ‘Apocalypse Now’. Mais là n’est pas le seul propos de ce classique souvent oublié. Outre la dénonciation des méfaits de la 8.6 (‘Plus dure sera la chute’) et de la vie de gangster (‘Au delà du réel’), le duo, en compagnie de Delta, réalise rien de moins que l’un des plus grands morceau de rap français avec ‘Arrête ou ma mère va tirer’. Démystifiant avec humour et humilité le lascar du quartier qui flippe plus devant les menaces de correction de sa mère que devant les flics, le titre est, à l’image du disque, une véritable leçon de savoir-faire. « Eskwad attaque ton cerveau comme le crack, dès la première écoute tu en dépends puis tu braques pour en posséder ».

Autres disques majeurs : Le bout du monde (1998)

  O’riginal Mc’s sur une mission – Ideal J (1996)

Premier album d’Ideal J (et chroniqué plus en détails ici), O’riginal Mc’s… est l’un de ces disques respirant le ghetto et suintant le bitume. Remarquablement bien construit, il laisse entrevoir chez Kery James un sens de la formule remarquable et un esprit affûté. Des morceaux comme ‘Je dois faire du cash’ et ‘Le ghetto français’ sont de véritables monuments du rap hexagonal, portés par les instrumentaux boom bap d’un DJ Mehdi très inspiré par les productions new-yorkaises des années précédentes. Au delà de quelques egotrips réussis, c’est aussi par son morceau titre, véritable manifeste hip hop particulièrement éloquent, que le disque acquiert ses lettres de noblesse. S’il n’a pas la carrure de son petit frère (lui chroniqué ici) en terme d’image ni son armada de morceaux fédérateurs, il a la concision, l’homogénéité et la puissance brute des albums qui marquent au fer rouge, dénués de toute faille thématique ou de maladresse textuelle.

Autres disques majeurs : Le combat continue (1998)

  Où je vis – Shurik’n (1998)

Comme son collègue Akhenaton l’a fait trois ans plus tôt, le second larron d’Iam livre avec Où je vis ce que l’on peut appeler un véritable album solo. Mais bien loin des collines de Naples, c’est cette fois le Japon et la Chine ancestraux qui fusionnent avec Marseille pour donner ce  disque désormais passé à la postérité. Insérant avec habileté ses influences asiatiques tant dans ses orchestrations, sublimes (‘L.E.F.’, ‘Les miens’), que dans ses thématiques (‘Samurai’, ‘Oncle Shu’), il créé une fresque superbe, faite de beaucoup de morceaux dénonciateurs (‘Où je vis’, ‘Esprit anesthésié’, le sublime ‘Manifeste’ avec son compère de toujours), de quelques titres introspectifs (‘Mémoires’, le splendide ‘Lettre’) et d’un peu d’egotrip (‘Oncle Shu’, ‘Mon clan’). Maniant la plume comme un sabre il fait preuve, malgré quelques facilités au niveau des rimes, d’une écriture ciselée et d’un flow maitrisé à la perfection, en équilibre entre la simplicité de l’expression, la véracité du propos et la technicité du phrasé. Le dernier grand disque des Imperial Asiatic Men.

  Détournement de son – Fabe (1998)

Troisième et avant dernier album du rappeur de la Scred Connexion avant sa retraite anticipée, Détournement de son est le disque de Fabe le plus marquant, pour la simple et bonne raison que c’est sur celui-ci qu’il se livre le plus. Depuis ses angoisses sur la vie (‘Nuage sans fin’, ‘Aujourd’hui’, ‘Comme un rat dans le coin’) jusqu’à ses désirs les plus profonds (‘Quand je serai grand’) en passant par son passé difficile (le superbe ‘Correspondance’ avec Al), Befa dévoile une large palette d’émotions. Bien sûr il se veut toujours narrateur d’une société en décadence (‘Au fond de nos coeurs’) et dénonciateur politique avisé (le classique ‘L’impertinent’). Malgré une légère baisse de niveau des instrumentaux en milieu d’album, la construction musicale est généralement d’une grande qualité, sachant se montrer pertinente dans les morceaux les plus doux comme dans les morceaux les plus sombres, et soutenant à merveille une écriture particulièrement affûtée portée par un flow maitrisé s’adaptant parfaitement à la tonalité de chaque titre.

Autres disques majeurs : Le fond et la forme (1997)

  Jusqu’à l’amour – Les Sages Poètes de la rue (1998)

Second opus des Sages Po, ce double album de 24 titres réussi le tour de force de ne jamais baisser de régime. Aucune fausse note, aucun remplissage, le tout est remarquablement construit et respire le travail fait avec amour et application. Le titre parle de lui même, et le crew de Boulogne prend ici toute l’époque à contre pied en livrant un disque à message positif, dans la veine d’artistes comme A Tribe Called Quest. Véritable régal musical, rempli du début à la fin de morceaux légers et jazzy, alternant sujets sérieux et d’autres plus détendus, l’album est aussi l’occasion d’admirer la prestance et la technique de Zoxea, la finesse et la douceur de Melopheelo et l’agilité tout en nonchalance d’un Dany Dan au sommet de son art. Un couplet plein d’humilité dont peu seraient capables sur ‘Victoire’, un autre flirtant avec la perfection sur ‘Dans ce monde’ ou encore son solo ‘Des voix dans ma tête’ l’érigent définitivement en figure mythique du hip hop français. « J’rappe pour la Terre entière de la jeunesse au troisième âge, des métropoles occidentales aux petites villes sauvages ». Ou rapper jusqu’à l’amour. Un double album littéralement délicieux.

Autres disques majeurs : Qu’est ce qui fait marcher les sages (1995)

  Busta Flex – Busta Flex (1998)

Si le choix d’un titre éponyme n’était peut-être pas des plus judicieux, ce premier album du mc de IV My People est une franche réussite. Entièrement (et particulièrement bien) réalisé par Kool Shen, il révèle avant tout en Busta Flex un rappeur au flow extraordinaire de vélocité. Entrainants, les instrumentaux semblent faits sur mesure tant ils lui offrent l’occasion de dévoiler la maitrise de ses variations, placements et intonations. Le fond n’est pas en reste pour autant, et si les thématiques sont souvent classiques, elles sont toujours bien traitées. D’une rare fraicheur quand il décide de se présenter (‘J’fais mon job à plein temps’), franchement drôle quand il dénonce le boulot assommant de fonctionnaire (‘What can i do ?’), touchant lorsqu’il évoque l’histoire personnelle d’une trahison (‘Pourquoi ?’) et carrément surdoué quand il fait dans l’egotrip (‘Kick avec mes Nike’, ‘Le Zedou’), Busta excelle de partout, et touche au sublime lorsqu’il invite Oxmo Puccino le temps d’un ‘Esprit mafieux’ qui à l’image de ce premier disque restera dans les annales.

  Opéra Puccino – Oxmo Puccino (1998)

Artiste consistant à la discographie toujours évolutive mais jamais prise en défaut, c’est malgré tout par son premier album que celui que l’on surnomme le Black Jacques Brel retient le plus l’attention. Un disque aux multiples facettes, comme l’annonçaient les morceaux ‘Mama Lova’ et ‘Pucc Fiction’ et comme le laissait voir la pochette et ses deux masques d’opéra, et qui dans son approche conceptuelle n’est pas sans rappeler Ready to Die. Produit par DJ Mars & DJ Sek de Time Bomb, Oxmo y livre quelques story-telling mafieux accomplis (‘Hitman’, ‘Alias Jon Smoke’) et quelques morceaux légers voir blagueurs (‘Sacré samedi soir’, ‘Mensongeur’). Mais c’est quand il s’attache à des thématiques plus profondes que son écriture d’une qualité exceptionnelle prend tout son sens. Naissent alors de véritables perles comme l’anxiogène ‘Peur noire’, le phénoménal ‘La loi du point final’ avec un Lino au sommet, et surtout le déprimé ‘L’enfant seul’, universel et magnifique, qui est sans doute le morceau le mieux écrit du rap français.

Autres disques majeurs : L’amour est mort (2001), Le cactus de Sibérie (2004), Lipopette Bar (feat. The Jazzbastards, 2006), L’arme de paix (2009), Roi sans carrosse (2012)

ff_si_dieu_veut  Si Dieu veut… – Fonky Family (1998)

On peut reprocher plusieurs choses à ce premier album de la FF : des instrumentaux parfois répétitifs, des mc’s qui ne sont pas toujours au niveau techniquement, certaines inégalités au sein du groupe… Au final, Si Dieu veut… marque, malgré tout, parce qu’il est le reflet d’une époque et de ses gens qui « niquent la musique de France ». Il se dégage du disque une agitation brute, une excitation juvénile, parfois naïve mais d’une sincérité tellement vraie qu’elle en devient touchante. Porté par l’authenticité du Rat Luciano, la vigueur de Sat, le bagout de Don Choa, la simplicité (disons) de Menzo, les boucles eighties de Pone et les scratchs de Djel, l’album est un hymne au prolétariat autant qu’un gigantesque doigt à la bourgeoisie. Depuis le bordélique ‘Sans rémission’ jusqu’au délicat ‘Cherche pas à comprendre’ en passant par l’ensoleillé ‘Le sum’, le groupe dépeint les galères en tout genre dans Marseille et ses quartiers délaissés avec une spontanéité et une énergie communicative. Incontestablement l’un des disques cultes de la scène phocéenne.

  Quelques gouttes suffisent… – Arsenik (1998)

Après des apparitions remarquées sur plusieurs compiles du milieu de années 90’s, les frangins Calbo et Lino sortent leur premier disque, produit par Djmi Finger du Secteur A. Comme avec leurs compères du Ministère AMER (Passi et le Doc Gynéco ne sont d’ailleurs pas loin), l’album fait partie des rares lorgnant sur la côte ouest des Etats-Unis, mais ici uniquement pour le côté musical qui se veut généralement plus lumineux que ses pairs, plus chaleureux et parfois teinté de r’nb ou ragga comme sur ‘Affaires de famille’ ou encore ‘Un monde parfait’ avec Janik. Lyricalement, c’est du pur rap de rue dénonciateur et revendicatif comme le prouvent ‘Partout la même’, ‘Une saison blanche et sèche’ ou le sublime ‘Chrysanthèmes’. Mais le fait le plus marquant de l’album reste la suprématie d’un Lino qui bouffe littéralement tous les morceaux de sa plume au cordeau et de son flow nasillard au placement virtuose. Depuis les allitérations sans fin en « sexe » dans ‘Sexe, pouvoir et biftons’ en passant par la vague déferlante du morceau titre jusqu’au couplet final magistral inspiré du film Carlito’s Way sur ‘La rue t’observe’, il livre une performance d’anthologie qui en fait sans problème l’un des meilleurs mc’s français.

Mauvais Oeil  Mauvais Oeil – Lunatic (2000)

Dualité opposée autant que duo complémentaire, Ali et Booba sont comme les deux faces d’une même pièce. Si on peut reprocher à cet album tardif de ne pas tout à fait être à la hauteur de la déflagration causée par ‘Le crime paie’ quatre ans plus tôt, il reste un sacré coup de poing dans le ventre d’un rap français qui sort tout juste de sa faste période moralisatrice. Pas de chichis sur ce Mauvais Oeil résolument sombre et musicalement pesant, à l’influence Mobb Deepienne évidente. Mais il vaut surtout pour ce formidable contraste entre un Ali faire-valoir tout en force tranquille, débitant des textes aux idées mûrement réfléchies, et un Booba impérialement violent, survolant tout l’album de ses punchlines monstres et de ses couplets tellement métaphoriques qu’ils en deviennent presque athématiques. On atteint des sommets sur le classique ‘Pas le temps pour les regrets’, sur ‘La lettre’ et sa prestation d’un autre monde de la part de B20 ou sur ‘Avertisseurs’ lorsque les deux mc’s décident de croiser leurs mics avec une virtuosité et une efficacité déconcertante.

Comments
2 Responses to “Le rap français en 30 albums majeurs : 2nde partie (1996-2000)”
  1. Olivier dit :

    1998 : Ideal J – Le combat continue
    Sans doute un des meilleurs albums de rap français, textes et prod indémodables.

  2. TousDRats dit :

    2000 : Le Rat Luciano – Mode De vie Béton Style
    Pone à la prod’, grosse identité sonore : synthés sombres des 80’s tout le long. Le Rat donne tout et accouche de monstres sonores tels que Niquer le Bénéf’, On Hait, Il est Fou ce Monde, Rien n’est Garanti (feat les X-Men).
    Cet album est, selon moi et plein d’autres, un des plus gros classiques du rap français alors si mon commentaire peut donner envie à un jeune de l’écouter… Je donne l’alerte !

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