La Cliqua – La Cliqua

1999, Arsenal Records

On a à peu près tout dit sur Conçu pour durer. Composée alors de Rocca, Daddy Lord C, Raphael et des deux mc’s du Coup d’Etat Phonique Kohndo et Egosyst, la Cliqua livrait en 1995 avec cet EP une véritable perle du rap français, un diamant brut taillé dans du bitume, concis, hardcore, technique, impérissable dans son instantanéité. On a en revanche beaucoup moins parlé de La Cliqua, album éponyme du groupe sorti quatre années plus tard.

Et pour cause, ce disque est probablement le plus symptomatique de la perte de vitesse du rap français à partir de 1999.  Pourtant, la Cliqua continuait son parcours sans flancher, entre apparitions diverses (et toujours de qualité) et parution de l’excellent solo de Rocca Entre deux mondes. Puis des divergences artistiques, entre Rocca et Kohndo notamment, mettront fin à l’unité du groupe et s’en suivra le départ du Coup d’Etat Phonique. Restent donc Raphael, Daddy Lord C et Rocca. C’est dans cette configuration que sortira La Cliqua et sa pochette improbable qui lui vaudra le surnom de « l’album à la licorne ». Plus tard dans cette interview, Kohndo dira ceci à propos de son départ : « On me demandait de forcer le trait par rapport au coté énervé et dur. Pour moi, pour être fort, pas besoin d’être dur ». A l’écoute de l’album, on ne doute pas un instant de la véracité de ses propos.

C’est en effet l’un des écueils les plus grave de La Cliqua : le flow artificiellement durci et accéléré, les voix forcées jusqu’à s’en péter les cordes vocales et les oreilles de l’auditeur. Auparavant plutôt posé, ou en tout cas relativement contenu, Rocca semble partir en guerre à chaque fois qu’il ouvre la bouche, rappe d’une voix qui s’éraille mais surtout rappe bien trop vite. Ses placements et variations de tons autrefois si subtiles ne sont plus, si bien qu’il perd finalement en impact au lieu d’en gagner. Daddy Lord C est moins touché par ce problème. De sa voix presque nasillarde, il développe un flow assez bizarre qui n’a pas franchement d’équivalent dans l’hexagone, ni même au delà. Plutôt que de faire des rimes, il préfère la plupart du temps jouer sur la similitude entre les premières syllabes des mots et les associer pour créer de multiples assonances internes. Le reste du temps, il multiplie les rimes multi-syllabiques. Parfois, c’est plutôt acrobatique mais ça fait indéniablement son effet (« Où t’iras t’terrer l’air atterré j’irai tirer et t’tuerai, car dans mon crew y’a pas de place pour les traitres »). D’autres fois, à force de vouloir à tout prix placer des rimes millionnaires à défauts de suffisantes, il en oublie l’aspect forcé bien trop voyant (« D’une manière ou d’une autre essaie pas de me la faire à l’envers, j’ai d’autres méthodes pour te calmer que celle de te faire mal en vers ») ou le ridicule de la chose (« Autant de styles au mic qu’il y a de marques de stylos mec »). En ce qui concerne Raphael, c’est le pompon. Il n’a jamais été le membre du groupe le plus reluisant, mais il n’avait jamais été aussi irritant. « (Il) gueule mon vieux, on dirait une poissonnière de Ménilmontant » comme dirait Jean Dujardin. D’autant que lyricalement, il est clairement un ton en dessous et il manque souvent à ses couplets une mise en forme recherchée autant qu’un fond intéressant.

Le deuxième problème de La Cliqua (et par extension de la Cliqua), c’est le discours tenu. Choix discutable, le titre éponyme de l’album semble vouloir nous dire « oui, la Cliqua c’est bien Rocca, Daddy Lord, Raphael et personne d’autre ». En l’occurrence, les trois mc’s l’ont encore mauvaise quant au split du groupe, et un morceau comme ‘Pas de place pour les traitres’ ne manque pas d’être explicite. Seulement alors que le collectif n’a a priori plus rien à prouver depuis 4 ans, il voit en cet album l’occasion de remettre les choses en place après la séparation, et de clamer haut et force leur appartenance au vrai hip hop, au rap authentique, à la rue et tout ce qui va avec, au cas où quelqu’un en douterai. Ca donne ‘Les incorruptibles’, ‘Rap champion’, ‘Pas de place pour les traitres’, ‘P.A.R.I.S.’, ‘Le grand bluff’, ‘Jackpot’, ‘Né pour ça’… soit une bonne moitié de l’album qui ne sert qu’à dire « on est les meilleurs, on reste vrai, on amène le bon son, les bonnes vibrations ». D’autres le font, mieux d’ailleurs, parce que ça fait partie du rap game. Ici, la démarche semble tellement sincère qu’elle en devient caricaturale et perd d’emblée tout son sens quand elle ne touche pas parfois au ridicule, à l’image de l’acapella de Rocca qui débute ‘Le grand bluff’. Quel est l’intérêt de s’acharner à dire qu’on est les meilleurs quand on a l’a déjà prouvé à plusieurs reprises et qu’il suffirait de recommencer ? Cette masturbation qui n’a même pas lieu d’être devient vite fatigante et à force de s’autoproclamer les plus vrais, la Cliqua en a oublié de faire des vrais morceaux.

Heureusement, si l’album dans son ensemble fait les frais de ce durcissement artificiel et de ce discours trop présent aussi répétitif que vain (d’autant qu’il est particulièrement long avec 73 minutes au compteur), il reste parmi les dix-huit pistes qui le composent quelques réussites indéniables au milieu de morceaux passe-partout. Hormis un ‘P.A.R.I.S.’ plat et creux façon « on représente paname et la banlieue », et un ‘Rap Contact 3’ a mille lieues du deuxième et dix mille du premier, il n’y a d’ailleurs foncièrement pas de mauvaises tracks, mais trop peu qui sortent du lot. Signalons tout de même ‘On ira tous au Paradis’ sur lequel on retrouve enfin une Cliqua concernée par la société et ses réalités, ‘La vie dure’ qui profite d’un énorme couplet de Daddy Lord C, le ‘Pas de place pour les traitres’ qui malgré son propos bien malheureux pour le groupe sonne tout à fait juste, ou encore un ‘Jackpot’ hypnotisant particulièrement réussi. Mais le meilleur morceau, et ce n’est pas étonnant, est le seul mettant aux commandes La Squadra, c’est à dire l’ex « mini groupe » de la Cliqua composé d’uniquement Rocca et Daddy Lord C. Apocalyptique et résigné, ‘Un dernier jour sur Terre’ se veut une conclusion très réussie, porté par des couplets désespérés sur un beat lancinant reprenant le thème du film Candyman.

Il faut par ailleurs saluer le travail de Chimiste et de Jelahee qui signent sur cet album une production globalement excellente. C’est sombre, c’est crade, c’est oppressant (‘La vie dure’ est remarquable de ce point de vue là), à tel point que ça sent parfois plus les rues du Bronx que celles du XVIIIe.  Relevons aussi quelques bonnes idées, comme la reprise du sample planant du ‘Retour du Shit Squad’ sur ‘Pas de places pour les traitres’, ou encore le morceau ‘3 Rounds’ sur lequel chaque mc rappe sur un instru différent et qui rappelle, certes en un peu moins virtuose, les ‘I’m the man’ et ‘Speak ya clout’ de Primo.

La Cliqua est probablement l’un des disques les plus frustrants du rap français. S’il n’est pas dénué de quelques belles réussites, il n’est, finalement, ni véritablement bon ni véritablement mauvais. Heureusement soutenu par une production de premier ordre, il souffre d’une superficialité évidente en terme de flow et de textes sur la plupart des morceaux. Daddy s’embourbe trop souvent dans ses rimes en pagaille, Rocca perd de sa panache passée en se montrant inutilement agressif, et Raphael fait franchement mal à la tête sur la longueur, sans compter que la vacuité de ses propos est réelle. A y regarder de plus près, ce n’est pas un hasard si les meilleurs morceaux sont aussi les plus posés, ceux sur lesquels les trois compères sont obligés de s’adapter à un rythme plus lent. Ce sont également ceux sur lesquels ils parlent de choses plus intéressantes que leur autoproclamée authenticité. Evidemment, le plus frustrant est de ne pas avoir eu droit à un disque avec la Cliqua au complet, ce qui aurait probablement donné quelque chose de bien différent à tous les niveaux.

Sans Kohndo ni Egosyst, le trio vivote et sort tant bien que mal un disque cohérent mais imparfait, fait de plus de creux que de sommets, condamné à errer sans trop de reconnaissance tout coincé qu’il est entre un groupe amputé de deux de ses membres les plus doués et une année 1999 qui sonne comme un retour de flamme pour tout le rap français. Même ses membres les plus illustres.

Comments
3 Responses to “La Cliqua – La Cliqua”
  1. Avis dit :

    Effectivement, je ne retiens de cet album que le « un dernier jour sur Terre ». Mais, le hic, c’est la différence de niveau entre les Mcs. Même un Rocca en demi teinte surclasse les autres sur cet album.

  2. Meuk dit :

    Effectivement, la majorité des titres de l’album reste dans l’egotrip et la revendication inutile d’un vrai hip hop. Seulement, à l’époque, ce n’était pas encore si gênant. Les morceaux à thèmes n’ont jamais été non plus le fort de Rocca et encore moins de ses acolytes. Aujourd’hui, la plupart des rappeurs ne font pratiquement plus que de l’egotrip ou alors, quand il y a un thème, c’est traité superficiellement. Lorsque cet album est sorti en tous cas, je l’ai pris pour ce qu’il était : du gros kickage sur des prods de malades. Car oui, le point fort de cet album ce sont les prods. Quant au flow de Rocca, même s’il est un peu plus énervé que d’habitude, je ne l’ai jamais trouvé plus carré et plus efficace. Tout ce qu’il a pu faire depuis n’a jamais égalé ce niveau de maitrise. Par contre, « Entre deux mondes » reste pour moi le meilleur projet de La Cliqua. « Conçu pour durer » était révolutionnaire mais on sentait que le truc n’avait pas été complètement abouti et c’est ce qui faisait son charme aussi.

    • David dit :

      Ce qui me gène sur ce disque, c’est pas tant l’absence de thème que la façon dont l’egotrip est traité. Autant y’avait du bon egotrip sur Conçu pour durer (et tu as raison La Cliqua a toujours été plus douée là dedans), autant là je trouve ça très creux, et même pas forcément impressionnant. Mais c’est vrai que la production aide à faire passer la chose. Et je te rejoins totalement sur Entre deux mondes, même si j’irai pas jusqu’à le placer en meilleure sortie du groupe il est vraiment excellent. D’ailleurs c’est un disque très peu voir pas du tout chroniqué sur le web, donc je risque de me pencher dessus bientôt.

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